Si je vous demande de me dessiner de l’argent vous y prendriez comment ? J’imagine que votre crayon tracerait des ronds pour les pièces de monnaie et des rectangles pour les billets de banque et que les plus doués d’entre vous me dessineraient une liasse, un portefeuille ou une tirelire bien garnie, un carnet de chèques au carrément une montagne d’or. Mais personne ne dessinerait un ordinateur ou un téléphone.
Au cours des âges l’argent a pris des centaines de formes et les pièces et billets sont ces manifestations physiques les plus courantes et les plus anciennes. Sous cette forme l’argent occupe normalement trois rôles fondamentaux dans nos sociétés et notre économie:
C’est un outil de mesure de valeur, une réserve de valeur et un moyen d’échange qui fait partie de notre quotidien à tel point qu’on imagine mal comment s’en passer.
Avec la révolution numérique l’argent va prendre une nouvelle forme. Sa forme ultime immatérielle infinie et encore plus rapide à transférer que les pièces et les billets c’est la monnaie numérique.
Elle n’a aucune autre existence qu’une suite de chiffres sur un serveur. Les preuves qu’elle laisse sur son passage comme une transaction qui se réalise ou un contrat qui se débloque. Mais on ne la manipule pas et il faut être équipé d’un appareil dédié pour pouvoir l’utiliser: un ordinateur, une tablette ou un smartphone.
Après le boom des crypto-monnaies et avec la menace d’un système monétaire mondial parallèle autonome et décentralisé, la question d’une véritable monnaie numérique stable et contrôlable par les États et les banques centrales est apparue un peu partout dans de nombreux pays.
La solution s’appelle MNBC pour Monnaie Numérique de Banque Centrale ou en anglais CBDC pour Central Bank Digital Currency.
La Thaïlande, le Nigéria, Israël, la Suède, l’Inde ou encore la Chine ont déjà lancé plusieurs expérimentations et en ce qui nous concerne l’euro numérique n’est plus très loin. Déjà que l’argent n’avait pas beaucoup d’odeurs, il n’aura bientôt plus ni forme ni couleur.
Mais dans quel but ? À quoi vont bien pouvoir servir ces versions 2.0 de nos pièces et billets? Devons-nous nous attendre à la fin du cash et serions-nous prêts pour une telle transition? Enfin, n’avons nous pas là un nouvel outil de contrôle des population scomme les sous-entendent certaines théories qui cite pour cela la Chine en exemple?
L’argent dans sa vision moderne et libérale n’est qu’un concept, une idée à laquelle on croit ou pas. C’est le principe de la monnaie dite fiduciaire, du latin Fiducial qui signifie confiance. En effet la valeur de nos pièces n’a rien à voir avec ce qu’elles coûtent à produire mais ça n’a pas toujours été comme ça.
Au départ pendant des siècles les pièces de monnaie étaient frappées sur une quantité d’or, d’argent ou de cuivre qui correspondait à leur valeur faciale. Cette méthode avait une fâcheuse tendance à vider le trésor du roi de ses métaux précieux. Pour régler le problème, l’homme a inventé l’imprimerie fiduciaire et utiliser des alliages.
Aujourd’hui une pièce de 2 euros coûte 17 centimes à produire. On ne devrait même pas pouvoir se payer une baguette avec. Un billet de 100 euros ne vaut lui que 7 centimes le papier l’encre l’amortissement de la machine et le salaire du mécano qui la surveille et pourtant on les change sans problème contre 100 euros de marchandises ou de service.
Le système fonctionne tant que tout le monde y croit.
Pour vous faciliter la tâche pièces et billets sont émis et garanties par une caution financière indiscutable: une banque centrale. Le plus haut organe financier d’un état, parfois même d’un groupe d’états comme l’Union européenne.
Si la banque centrale le dit alors mon billet vaut bien 100 euros.
La monnaie métallique et la monnaie papier sont complétés par la monnaie scripturale. Il s’agit d’une autre de ces formes inventée et cette fois par les financiers privés ancêtres de nos banquiers modernes pour faciliter les échanges.
Comme son nom l’indique c’est l’argent écrit autrement dit les comptes bancaires, la carte bleue, les chèques et lettres de change et crédit, les titres interbancaires, le paiement et tout ce que les banques mettent à votre disposition pour régler nos factures, gérer votre épargne ou encore envoyer de l’argent à nos proches. On l’appelle aussi monnaie commerciale par opposition à la monnaie centrale. Cette fois comme il ne s’agit ni de pièces ni de billets, ce sont elles qui garantissent les montants que vous lui confiez en les déposant sur votre compte.
Avec le 21e siècle nous sommes entrés dans l’ère du digital et une nouvelle forme de monnaie est apparue plus adaptée à nos nouveaux usages. Notamment aux évolutions en termes de paiement. On l’appelle la monnaie numérique. Elle est composée de deux grandes familles monétaires:
- Les cryptomonnaie et
- les monnaies numériques des banques centrales qui les ont récemment rejointes.
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Comment fonctionne une monnaie numérique de banque centrale ?
Prenons l’exemple de la BCE et de l’euro numérique. C’est une monnaie dématérialisée émise exclusivement par la BCE. Aucune banque privée ne participe à sa création et il n’y ainsi aucun risque de perdre le contrôle de la masse monétaire en circulation.
Cet euro numérique devrait exister sous deux formes qui peuvent prêter à confusion.
La monnaie centrale interbancaire:
C’est une sorte de monnaie de gros qui servira uniquement aux transferts entre banques centrales, grandes banques et organismes internationaux.
Hébergée sur la blockchain comme n’importe quelle cryptomonnaie, ce nouveau système devrait permettre des échanges plus rapides et plus sécurisés et surtout sans intermédiaires, banques ou chambres de compensation et donc sans frais.
La monnaie numérique centrale de détail:
Celle-ci est utilisable par le grand public mais nécessite un support de stockage comme une carte ou un téléphone. Il faut également détenir un compte en monnaie numérique auprès d’une banque autorisée (en France, la caisse des dépôts)
Il faut donc pas confondre monnaie numérique de banque centrale et monnaie électronique.
La monnaie électronique que nous utilisons de plus en plus fait partie de la monnaie commerciale. Au départ elle est inscrite sur un compte bancaire.
Que nous utilisions une carte bleue, un téléphone ou un chèque ne change rien. Ce n’est pas une banque centrale mais une banque privée qui garantie cet argent. Il ne faut pas la confondre non plus avec une crypto-monnaie plutôt considérée comme un actif dématérialisé, un support de placement ou de spéculation. La volatilité des marchés crypto empêche d’ailleurs tout jetont de constituer un moyen d’échange cohérent ou une réserve de valeur.
La face cachée des monnaies numériques de banques centrales
Voilà ce qu’est une monnaie numérique de banques centrale: Une pièce virtuelle ayant cours légale qui n’existe que sur un support et qui est intégralement garantie par une banque centrale. Dans le principe il n’y a pas grand chose qui cloche et les banques centrales voient tout ça comme un incroyable progrès financier. D’autres par contre croient reconnaître un nouveau moyen de contrôle et de contrainte. Ils craignent même pour l’équilibre de nos sociétés et voit dans ces nouveaux projets la disparition programmée de l’argent liquide.
Pour essayer de comprendre pourquoi les MNBC font autant débat regardons un peu ce qui se fait actuellement à la matière. Dans le monde plusieurs pays se sont lancés dans l’expérience de la monnaie officielle virtuelle et les sociétés spécialisées dans le domaine des paiements électroniques ont détrôné les leaders historiques comme Paypal WesternUnion et même nos banques traditionnelles.
L’exemple des Suédois dans l’adoption des CBDC
En Europe les pionniers ce sont les Suédois qui préparent la fin des espèces depuis 10 ans déjà. Dès 2012 la population a adopté une application de paiement par mobile appelé swish qui a très vite remplacé les paiements en monnaie bien sonnante même pour un petit café. Le nombre de distributeurs de billets a été divisé par deux depuis. À Stockholm on ne paye plus qu’avec son téléphone et certains enfants se passent déjà très bien des moyens de paiement traditionnels. La banque centrale de Suède a alors saisi l’occasion de lancer une nouvelle forme d’argent liquide numérique l’e-krona, utilisable pour les paiements sans contact à distance et dont elle garantit la valeur de la même façon que celle des pièces et billets. Malgré ses avantages l’e-krona n’est toujours pas disponible auprès du grand public et le projet est en phase de fin de test.
Partout dans le monde, la pandémie a modifié nos habitudes. Le paiement sans contact s’est généralisé et les espèces porteuses de virus et de bactéries se sont beaucoup moins échangés. Chez nous le paiement mobile est bien moins répandu qu’en Suède mais nous rattrapons notre retard. 58% des Français déclarent avoir déjà utilisé le paiement mobile au moins une fois l’année dernière et les statistiques confirme notre bonne adaptation aux évolutions numériques. Selon la BCE, 60% de nos paiements en nombre ont été fait en cash en 2021 mais il ne représente que 2% des montants échangés. Forcément on parle beaucoup de l’euro numérique.
Et ailleurs dans le monde, où en sont les CBDC ?
Au Nigeria l’eNaira, la première MNBC d’Afrique espère donner l’exemple à tout un continent et faire concurrence au Bitcoin largement répandue dans la population. À terme, le gouvernement vise 8 millions d’utilisateurs actifs. Principalement ceux qui sont actuellement non bancarisés ou situés dans des déserts bancaires.
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En Thaïlande, on a choisi de mettre en place une MNBC de détail uniquement. L’objectif est de faire disparaitre l’argent liquide et la monnaie électronique. L’Inde avait mis en place une initiative identique en 2016, sans grand succès. Aujourd’hui le pays relance ses tests pour une roupie numérique.
Aux États-Unis, Joe Biden vient de donner son feu vert pour le dollar numérique sur lequel travail les chercheurs du prestigieux MIT et ceux de la FED. La banque centrale américaine et l’institut des technologies ont baptisé ce projet Hamilton.
Le Japon envisage également un Yen digital comme la Grande-Bretagne, le Maroc ou Israel mais rien n’a encore été acté définitivement.
Les dangers des CBDC: l’exemple Chinois
Il n’y a que la Chine a avoir franchi le pas. Depuis, l’événement alimente des craintes et soulève beaucoup de questions. La banque centrale de Chine a déjà réalisé avec succès plusieurs paiements transfrontaliers dans 4 juridictions différentes avec son Yuan numérique interbancaire pour l’équivalent d’un montant de 22 milliards d’euros. Sa monnaie de gros est donc déjà prête et celle de détails a été déployée juste avant les Jeux olympiques d’hiver de 2022. l’e-Yuan était l’un des trois moyens de paiement acceptés dans le village olympique ou chez les commerçants autour. Il y avait aucune place pour l’Apple pay… Au départ la population a bien accueilli le système, payez avec une CBDC et plus sûr. L’argent est garanti par l’État et non plus par une banque. C’est aussi moins cher qu’avec une carte bleue car il n’y a plus d’intermédiaire, c’est immédiat est plus pratique que de transporter des espèces sur soi avec le risque de se les faire dérober ou de tomber dans certaines zones rurales surd es commerçants qui n’ont pas l’appoint. Mais pour le gouvernement c’est surtout un excellent moyen de se débarrasser des réseaux américains Visa, MasterCard, American Express ou d’autres systèmes de paiement mobiles étrangers.
La tentation du contrôle total
C’est aussi un excellent moyen de contrôler encore un peu plus la population déjà très surveillée… Chaque paiement en e-Yuan est centralisé, étudié puis archivé à la banque centrale. Toutes les transactions, même les plus petites, sont connues en temps réel par les autorités. Elles savent par exemple que Monsieur X a acheté deux livres de riz mardi à 17h02 à la coopérative de son village. Évidemment ce n’est pas très intéressant sauf si Monsieur X est cas contact au covid-19. Elles savent aussi que Monsieur Y officiellement agriculteur à la retraite vient de recevoir presqu’e’un million de yuans sans aucune raison apparente. Elle repère tout de suite les montants inhabituels reçus par la société de taxis de Madame Z ou que les serveurs du restaurant des frères W sont bien moins payés que ceux du restaurant d’en face.
Avec une traçabilité parfaite, lutter contre les trafics ou les activités illicites devient un jeu d’enfants et si le Yuan numérique venait à se généraliser et à remplacer définitivement les espèces partout en Chine, on pourrait imaginer un pays où les banques de dépôt n’auraient plus de raison d’être. Leur mission se limiterait à la collecte de l’épargne et à la distribution des crédits et ce serait aussi la fin des sociétés de paiement. Une destruction créatrice pour le gouvernement chinois qui permettrait d’assénir les marchés bancaires et de redéfinir les rôles de chacun sans risque que qui que ce soit ne puisse faire de l’ombre au régime…
Actuellement le e-Yuan est disponible dans une dizaine de grandes villes et la Chine est le pays où les usages sont les mieux développés en matière de paiements dématérialisés.
Le numérique est déjà majoritaire. Les avantages des CBDC font briller les yeux du président chinois et de tous les cadres du parti communiste mais le déploiement global prendra du temps: 10 à 20 ans. Les banques chinoises peuvent encore dormir tranquille car elles ne vont pas devoir fermer leurs guichet demain enfin pas tous.
Les banques suédoises non plus car le gouvernement vient de faire demi-tour. Alors que l’objectif qui avait été annoncé était de supprimer le cache à horizon de 2030, une nouvelle loi a été votée le 1er janvier dernier qui impose aux banques de conserver leur capacité à délivrer des espèces.
J’écrivais plus haut que seule la Chine avait commencé le déploiement de son e-Yuan mais en réalité il y en a un autre qui a atteint la maturité. Un conglomérat de petits États des Bahamas a lancé son sand dollar en octobre 2020. C’est quasiment le seul pour qui les choses se passent bien avec un sand dollar stable et un archipel toujours aussi attirant pour les touristes que pour les investisseurs.
CBDC, un risque de dérive qui pose questions
Plus de 60 pays s’intéressent actuellement à une MNBC mais un peu partout les opérations prennent du temps y compris en Europe car a bien y regarder ça n’a pas que des avantages.
Nous l’avons vu tout à l’heure avec le cas de la Chine, l’anonymat n’est évidemment pas garantie et la traçabilité est parfaite. Toute opération réalisée en CBDC remonte aux autorités. Elles pourront tout contrôler, jusqu’à notre façon de dépenser notre argent. Elles pourraient apposer des dates limites d’utilisation par exemple pour nous obliger à acheter, elle pourrait favoriser une entreprise ou un secteur en doublant la valeur de vos pièces numériques pour tout achat d’un produit X ou Y. Si vous tenez à votre vie privée, sachez qu’avec une MNBC vous n’aurez aucune chance d’échapper à l’inquisition. En cas de manquement à la loi votre compte pourrait être restreint ou bloqué. Le système est aussi considéré comme discriminant. L’usage des espèces est si répandues, surtout parmi les personnes âgées, les exclus du système bancaire, comme les sans-abris, les personnes malvoyantes ou celles qui vivent en zone rurale qui n’auraient plus les moyens de réaliser les petites transactions quotidiennes. Ensuite il existe un risque majeur, un risque technologique. Qui dit numérique dit informatique et donc possibilité de cyber-attaque. Que se passerait-il si des personnes malintentionnées prenaient le contrôle de la masse monétaire d’un pays tout entier ou simplement que le courant soit coupé? Pas de connexion: pas de paiement, pas de commerce, pas d’économie et ça non plus personne n’en veut.
Alors pas de panique, l’argent liquide ne va pas disparaître ni en un jour ni demain ni totalement. Tout comme la monnaie papier n’a pas remplacé la monnaie métallique et que la monnaie scripturale n’a pas mis un terme à la monnaie physique. La monnaie numérique va compléter les autres formats de monnaie qui continueront de coexister.
La quantité d’espèces en circulation va très certainement encore baisser. Elle baisse déjà comme le nombre de distributeurs automatiques partout en Europe, y compris chez nous. Il y en a déjà 5000 de moins qu’avant la crise sanitaire et 15000 autres vont disparaître cette année. Mais les espèces ne disparaîtront pas pour autant, en tout cas pas tout de suite car les banques ne se relèveraient sûrement pas d’être privées de leur branches de dépôt et les populations ne sont pas toutes prêtes.
La question de savoir si les CBDC de sont utiles de se posent pas nous avons vu que les transferts internationaux entre institutions financières centrale seront instantanés, gratuits, bien mieux sécurisés via la technologie blockchain. C’est la CBDC de détail qui pose problème car elle implique la fin du cash. Elle nous amène à imaginer un monde sans petites monnaies. Nous serions surveillés H24 dans un monde dans lequel toute transaction inhabituelle attirerait immanquablement le regard des autorités. Pas très engageant mais comme en Chine vous aurez le choix de l’adopter ou pas. En tout cas au début. jusqu’à ce que la génération de nos grands-parents disparaissent et que des solutions technologiques soient trouvées pour les autres exclus du système. D’ici là nous allons pouvoir observer les choses.
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